Conférence Cardinal Ratzinger

 

 

 

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A la recherche de la paix

 Joseph Cardinal Ratzinger

5 Juin 2004

Abbatiale Saint-Etienne deCaen 

                                               

                                                                                                                                                                    
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Si l’Europe, depuis 1945, connut, exception faite des conflits dans les Balkans, une période de paix, la situation du monde dans son ensemble n’en était pas moins tout autre que pacifique. De la Corée au Vietnam, à l’Inde et au Pakistan, du Bangladesh à l’Algérie, au Congo, au Biafra Nigeria, jusqu’aux antagonismes du Soudan, du Ruanda Burundi, de l’Éthiopie, de la Somalie, du Mozambique, de l’Angola, du Libéria, jusqu’à l’Afghanistan et la Tchétchénie, se développe tout un arc sanglant de conflits belliqueux auxquels il faut ajouter les combats en et pour la Terre Sainte, et en Irak. Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir la typologie de ces guerres, dont les blessures continuent encore à suppurer. Mais je voudrais éclairer un peu davantage deux phénomènes en quelque sorte nouveaux, parce qu’en eux vient à jour la menace spécifique, et par là aussi la tâche particulière de notre temps pour la recherche de la paix.

 Un de ces phénomènes consiste dans le fait que paraît éclater tout à coup l’ordre du droit et la capacité de cohabitation de la part de communautés différentes. Un exemple typique d’une rupture de la force du droit et dès lors de l’engloutissement dans le chaos et l’anarchie, me semble présent en Somalie, mais le Libéria offre également un exemple de la façon dont une société se désagrège de l’intérieur, parce que l’autorité de l’État n’est pas en mesure de se rendre crédible comme instance de paix et de liberté, et ainsi chacun commence à rechercher son droit par la force des poings. Nous avons assisté à une chose semblable en Europe, après l’éclatement de l’État yougoslave unitaire. Des populations qui depuis des générations, malgré bien des tensions, ont vécu pacifiquement les unes avec les autres, se sont brusquement dressées les unes contre les autres avec une cruauté inconcevable. Ce fut un effondrement spirituel ; les barrières de protection ne résistèrent plus dans une nouvelle situation, et l’arsenal d’inimitié et de violence qui guettait dans les profondeurs des âmes mais qui était jusque-là retenu par les forces du droit et de l’histoire commune, explosa sans entrave. Certes, dans cette région cohabitaient les uns à côté des autres des traditions historiques différentes, qui se trouvaient depuis toujours dans une tension latente les unes envers les autres : là se rencontrent les formes latine et grecque du Christianisme, auxquelles s’ajoute la présence effective de l’Islam à travers la domination séculaire des Turcs. Mais toutes ces tensions n’avaient pas empêché une cohabitation qui était dès lors en train de se désagréger et qui poussait à l’anarchie. Comment cela était-il possible ? Comment était-il possible que brusquement, au Rouanda, la cohabitation entre Hutu et Tutsi en vienne, de toutes parts, à une hostilité sanglante ? Les causes de cet effondrement du droit et de la capacité de réconciliation sont certainement multiples. Nous pouvons en nommer l’une ou l’autre. Le cynisme de l’idéologie avait obscurci les consciences dans toutes ces régions : les promesses des idéologies justifiaient tous les moyens apparemment adaptés pour cela et avaient aboli de la sorte la notion de droit, ou même la distinction entre bien et mal. À côté du cynisme des idéologies et souvent étroitement imbriqué avec lui, se trouve le cynisme des intérêts et des grands marchés, l’exploitation éhontée des réserves de la terre. Ici aussi le bien est mis de côté par le profit et le pouvoir mis à la place du droit. Ainsi sur cette voie la force de l’éthos se dissout-elle de l’intérieur, et au bout du compte le profit recherché est finalement lui-même détruit. À ce niveau se manifeste une grande tâche pour les chrétiens du temps présent : nous devons commencer par apprendre les uns des autres à vouloir nous réconcilier et à tout faire pour que la conscience ait le pouvoir, plutôt que d’être écrasée par l’idéologie et l’intérêt. Spécialement aux Balkans (et la même chose vaut pour l’Irlande) la tâche de l’authentique œcuménisme devrait être de rechercher tous ensemble la paix du Christ, de nous l’offrir les uns aux autres, et de considérer aussi la capacité de faire la paix comme un véritable critère de vérité.

 

 

 

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